2OO6. Commande de la Fondation Barbier Mueller. Complexe scolaire primaire en pays tammari, respectueux d'une identité architecturale inscrite au Patrimoine de l'UNESCO. Pour un effectif de 2OO enfants, 4 salles de classes, administration, préau, commodités économiques. Techniques de construction et main d'oeuvre natives. Matériaux améliorés.
NOTE D'INTENTION :
En
Afrique et dans la société de tradition, l’école a dans la
perception villageoise, figure de fissure. C’est La chose de
l’extérieur à laquelle il faut confier les enfants. Elle a quelque chose
d’ étranger. Il s’agit de démystifier l'école. De
la rendre normale... Non plus une " fenêtre sur l’Occident" ,
un trou, mais un espace clos sur soi. Pour se découvrir (en découvrant
l’Autre et le monde). Eviter donc, l'aspect institutionnel de l'école
qui crée une barrière psychologique entre elle et les villageois. De
fait, l’école doit être tamberma. On ne doit pas en parler. Elle doit
venir de l’intérieur. Elle doit être transparente... Un « déjà là » en somme. Il
s’agit d’être humble. De garder le silence.
Le parti pris esthétique. Le face-à-face terre/béton est assumé... on veut atteindre à la magie en contraste. Il faut qu’ils se parlent. Que la courbe questionne la ligne droite. La beauté toute de sensualité de la terre et le fier hiératisme du béton, communiant dans l’acte poétique. Pathos et froideur. Mâle et femelle. Tout cela est africain. Ici, le référent moderne (le béton) aura statut de vestige, de trace…, comme recouverte, parasitée par la terre qui, elle, est actuelle . Entre les deux, la terre stabilisée (éco-béton), matérialisée dans la clôture, fait le grand écart; reliant (arbitrant ?) la nature et l’artifice. L’architecture de la signature; « Signer » l’espace et le temps. Annuler le vide. Dans ce lieu, on n’est pas nulle part. On n’est pas ailleurs. On est en pays tamberma au XXIème siècle. C’est une architecture qui situe et qui assume. Le Koutammankou est désormais "marqué". Une éthique. "… constituer à un peuple un patrimoine, son patrimoine à lui/ De beauté, de force, d’assurance. Je ne vois pas d’œuvre plus digne/ « paraclet », celui qui le hélant appelle un peuple à sa limite/ le réveillant à sa force occulte ! " Aimé CESAIRE. Valoriser un patrimoine c’est donner au peuple, un motif de fierté. C’est l’amener à croire en lui. Il s’agissait pour nous, pour employer le terme de Césaire, d’en exiger « quelque chose d’impossible .» « Un patrimoine d’énergie et d’orgueil.» Le projet a été conçu comme un exemple pouvant faire prendre conscience à la communauté des mérites de ses modes originaux d’exister. .
DESCRIPTIF SOMMAIRE DU PROJET :
Conçu pour un effectif de 200 enfants en cours primaire et préscolaire. Complexe scolaire : 4 salles de classes, bureaux, bibliothèque, préau, latrines écologiques. En milieu rural et s’inspirant d’une architecture vernaculaire de premier rang. L’implantation de l’enceinte est faite de façon à ne pas briser la continuité physique, architecturale et écologique du milieu. Le choix des composantes du système constructif est dicté par les contraintes locales tout en intégrant les techniques contemporaines de construction. Le bâtiment d’administration construit en terre par la communauté même, est renforcé par une structure en poteau-poutres béton. « Visage » de la façade principale, cet impressionnant édifice en forme de tata tronqué qui héberge les bureaux, est un signal fort qui marque le lieu. La référence à l’architecture locale y est complètement assumée. Les deux modules de locaux de classes disposés aux « flancs » de l’ensemble, sont la sécrétion d’une extrême économie d’effets. Dépouillés et robustes, ils sont construits avec des techniques d’agencement modernes. Le préau, outre le fait de fournir en permanence un grand abri que ne manqueront pas de s’approprier les enfants, peut occasionnellement être transformé en lieu d’activités diversifiées : réfectoire, espace d’expression scénique (festival des arts et cultures tamberma en prévision), lieu de projection télévisuelle, etc. Son caractère « décloisonné » permet un nombre varié d’affectations. Il pourra aussi, si l’urgence le dicte, être converti en espace de cours. Les 4 entités sont réunies de façon à définir un « cœur » convivial, et leur combinaison à l’intérieur de l’enceinte circulaire de 40m de diamètre crée des espaces libres qui pourront être aménagés pour servir de prolongement des classes, de jardins scolaires, d’îlots de culture et de démonstration, d’aires de travaux expérimentaux, ou au besoin accueillir de nouveaux locaux. Deux volumes indépendants (filles et garçons) hébergeant des latrines écologiques dont la configuration est adaptée aux formes locales, y ont d’ores et déjà trouvé emplacement. Les larges toitures terrasses débordantes, constituent un élément primordial du projet, qui ancre encore plus l’ouvrage dans l’esprit de l’édifice tamberma (la terrasse étant à la fois l’élément caractéristique du Tata, et un espace de vie sans équivalent). Ces plates-formes en devenant accessibles offriront une remarquable aire de détente, et pourront servir d’espace de lecture ou d’exposition dans la mesure ou les bâtiments en prévision verraient le jour. L’insertion harmonieuse dans le site est assurée par la discrétion du tout. Un discours qui ne rentre pas en contradiction avec la "massivité " des bâtiments. D’une assise très animiste… .
IMPORTANCE DU PROJET
Le contexte culturel traditionnel tammari est classé patrimoine Mondial de l’UNESCO depuis 2003 pour une grande part du fait de son identité architecturale. La présente intervention a tenu à lui rendre hommage tout en faisant œuvre de sens. La région, ciblée par les programmes de l’UNICEF et de l’Union Européenne comme étant une « zone d’intervention prioritaire », acquiert avec ce projet, un équipement éducatif pertinent. Mais la dimension éthique de l’ensemble est surtout manifeste dans la tentative de réponse à la double problématique de conservation et de Haute Qualité Environnementale. Il ne s’agit donc pas seulement d’un monument auguste en l’honneur de l’architecture tamberma, mais d’un édifice résolument contemporain aspirant à offrir des qualités de confort, d’usage et de vie acceptables. La préoccupation de développement durable .En plus de chercher à valoriser un objet culturel relativement menacé, le projet est une tentative de construction à faible coût qui se propose de mettre à contribution des dynamiques locales. L’économie générale est recherchée dans le recours prioritaire à des matériaux disponibles et aux techniques indigènes. Nous avons donc privilégié des matériaux naturels modestes (terre, bois, paille etc. jusque dans les travaux de revêtement : décoctions de néré, karité, etc.) et des matériaux « modernes » adaptés présentant le moindre risque, comme la terre stabilisée. L’« écobéton », matériau d’avenir en Afrique pour ses qualités économiques, écologiques, esthétiques et de confort, demande, dans les différentes phases de la mise en œuvre, une certaine rigueur et une réelle scientificité. Nous nous sommes adressé à des spécialistes pour l’évaluation de la terre, le dosage, le suivi de la production des briquettes et l’exécution des ouvrages dans le respect strict des règles de l’art. La préoccupation bioclimatique est manifeste dans les choix de matériaux mais aussi dans les choix formels et d’agencement. Nous parlons bien ici de ce que André Ravéreau appelait : « l’intelligence des formes. » Souhaitant, dans une perspective plus élargie de Haute Qualité Environnementale, prendre en charge les questions d’assainissement, nous avons tenu à doter l’établissement d’un ensemble de commodités à portée écologique. Les latrines, conçues sur le modèle « Ecosan », constituent un garantie de réduction des nuisances et de prévention des maladies généralement liées à la négligence des règles d’hygiène et excellent dans le traitement et la réutilisation en agriculture des déchets solides et liquides. Le CREPA intervient pour la fourniture d’un ensemble d’infrastructures d’assainissement (urinoirs, lave-mains, points d’eau), la formation, l’assistance à l’installation des équipements d’assainissement et pour les toutes premières opérations de sensibilisation et d’éducation à l’hygiène en milieu scolaire. Mais, bien plus que les dimensions économique et écologique, c’est l’aspect social qui dans ce projet se révèle le plus marquant. Construire avec le peuple. Le rêve de Hassan FATHY. Une nécessité Tout geste qui s’inscrit dans une configuration admise comme haute manifestation de l’esprit et de l’expression humaine, doit être mûrement réfléchi pour en rester respectueux. Quoi de mieux alors, que du génie et des forces locales, d’en faire le moteur, surtout quand, comme dans le cas présent, il s’agit d’un équipement communautaire réclamé par elles mêmes. Nous avons donc tenu à faire construire une partie de l’édifice (l’administration) par les villageois eux-mêmes. Ils ont la responsabilité de son entretien et cela participe de l’appropriation continuée du projet. L’implication de la communauté étant totale, le projet travaille à faire tomber les réticences habituelles envers l’école. Nous assurons aussi dans le cadre de cette unique expérience, la transmission des savoirs, l’éveil et la sensibilisation de la communauté à la pertinence de ses acquis. Il s’agit aussi ici, de la recherche d’une utilisation contemporaine d’un langage traditionnel. Œuvre d’actualisation donc, de détournement aussi, mais surtout de préservation. La question du patrimoine. Le projet ambitionne de montrer que des savoir-faire traditionnels peuvent être adaptés à un usage dit moderne. Nous sommes persuadé, que c’est là le véritable garant d’une réelle préservation. Celle qui prend d’évidentes libertés avec l’esprit muséificateur, qui sur le terrain montre certaines limites et entre en franc conflit avec la notion de "Biens Sociaux et Humains que l’UNESCO depuis 1999 a intégré à l’ensemble des biens patrimoniaux à préserver. Nous touchons là du doigt, la problématique de la conservation du patrimoine immobilier habité. Notre démarche implique donc une évolution. Aussi, la construction de l’Ecole primaire publique de Koulangou participe, de la très souhaitable évolution d’une corporation de maçons traditionnels vers une corps professionnel de bâtisseurs tammari et d’une volonté de documentation permettant de passer d’un ensemble connaissances non écrits vers un savoir documenté et scientifique. |
DONNÉES DU PROJET: Situation:Koulangou, Nadoba, Pays tamberma, TOGO Site Koutammankou, Patrimoine mondial de l’UNESCO Surface de la construction: environ 1200 m2 Budget: 50 000 euros Bénéficiaire: La communauté du village de Koulangou, Togo Initiative/ Maîtrise d’Ouvrage: Lucille REYBOZ Financement: Fondation Barbier-Mueller Maîtrise d’Oeuvre/Conduite de Chantier: Sénamé Koffi AGBODJINOU Conception 3D: François Johannes CODJO Artisan: Pierre N’KOUE, Maître maçon Entreprise: ENTROTA Togo Consultants: CREPA Centre Régional pour l’Eau Potable et l’Assainissement, (Expertise assainissement écologique en milieu scolaire) CCL Centre de Construction de Lomé, (Expertise matériaux locaux améliorés) CRATerre - Programme AFRICA 2009, (Questions du patrimoine) Publication : D'Architectures n° 159 Novembre 2006 Dossier " L’engagement humanitaire par l’architecture "
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